Date de publication : mardi, Fév 23

Entretien avec M. Anouar HASSOUNE, président directeur général de WARA

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Retrouvez dans le 3ème numéro de LA TENDANCE, un entretien avec le PDG de WARA, M. Anouar HASSOUNE, qui nous donne son avis d’expert sur l’évaluation de la solvabilité des émetteurs du Marché des Titres Publics dans un contexte de crise sanitaire ainsi que la situation de la dette souveraine des Etats de l’UEMOA.

A l’image des autres régions du monde, la zone communautaire de l’UEMOA fait face à la pandémie du coronavirus. Comment vous traitez la question des notations souveraines dans ce contexte d’incertitudes ? 

Ce que nous faisons, c’est de mesurer la capacité et la volonté d’un débiteur (un Etat ou une entité du secteur privé) de rembourser sa dette à moyen terme, c’est-à-dire à un horizon de trois ans. La question devient la suivante : que se passe-t-il lorsque l’ensemble du système économique et financier mondial est touché de manière symétrique ? C’est ce qu’on appelle en économie un « choc symétrique », qui est complètement différent d’un choc asymétrique. Par conséquent, lorsqu’on est dans cette situation comme celle que nous vivons (crise sanitaire due à la COVID-19), la première réaction d’une agence de notation, c’est de ne pas changer ses notes. Il est légitime de se demander comment une agence de notation, dont le mandat est de mesurer le risque (relatif) de crédit par le truchement de ses notes, réagit face à la COVID-19. La réponse que nous y donnons peut sembler contre-intuitive ; la voici : en définitive, nos notes vont être très peu modifiées. La raison est inhérente à l’échelle de notation qui sous-tend nos méthodologies, et à la signification de ces notations. L’échelle de notation de WARA est, par construction, une échelle ordinale et non pas cardinale. Cette dernière capture les risques de crédit relatifs des dettes libellées en Franc CFA dans la sous-région de l’UEMOA. Les notations doivent être comparées les une par rapport aux autres, et non pas interprétées dans l’absolu.

Comme la crise sanitaire dite de la COVID-19 représente, en première analyse, un choc symétrique, touchant tous les pays de l’UEMOA et toutes les entités économiques qui composent la sous-région, la relativité des risques de crédit demeure a priori inchangée. Il n’y a aucune raison, a priori toujours, qu’un risque de crédit préalablement bon (i.e. une notation élevée) se soit détérioré par rapport à un risque de crédit préalablement médiocre (i.e. une note faible) dans la sous-région. En revanche, il est davantage probable que la résilience de nos économies sous-régionales et, par truchement, des entités qui le composent, par rapport à certaines économies étrangères (i.e. en-dehors de l’UEMOA), soit relativement modifiée par rapport à la crise sanitaire… ce qu’il nous appartiendra de mesurer lorsqu’un bilan des coûts humains, sociaux, économiques et financiers pourra être dressé, ce qu’il serait hasardeux d’entreprendre immédiatement. 

Un exemple, quand vous avez une entité dont le modèle d’affaire est essentiellement tributaire du tourisme comme un réseau d’hôtels, forcément la réaction d’une chaîne d’hôtelière par rapport à la COVID-19 va être beaucoup plus intense que la fonction de réaction d’une institution qui fait du e-commerce. Vous allez avoir dans un même environnement économique ce qu’on appelle des « winners » et des « loosers », dans une logique essentiellement sectorielle. C’est dans les secteurs que vous allez avoir une corrélation très négative de ces modèles d’affaires par rapport à la COVID-19 et a contrario des réactions plutôt positives des modèles d’affaires par rapport à la COVID-19. Dès le mois de mai nous avions identifié les potentiels des winners et loosers. La France va faire -9% de croissance, la Guinée-Bissau -1,5%. On est beaucoup moins touché par une pandémie lorsqu’on est essentiellement spécialisé sur les secteurs primaires comme l‘agriculture et les mines. En termes de sensibilité de leur croissance à la crise de la COVID-19, ils vont être moins touchés que les économies qui sont beaucoup plus mondialisées, urbanisées et tributaires du secteur des services. 

 

Devrait-on s’interroger sur l’évolution probable des notations souveraines de la sous-région ?

WARA a entrepris, depuis sa création en 2012, de suivre la qualité de crédit d’un « pool souverain » constitué de 18 Etats, dont les 8 Etats membres de la zone UEMOA, auxquels s’ajoutent 10 autres pays africains comparables. Quand bien même ces notations du pool souverain ne feraient pas toutes l’objet d’une publication, elles nous servent bien entendu d’ancrage pour la notation des entités sub-souveraines, et de référence tant qualitative que quantitative (par le biais d’un modèle de régression) du risque-pays relatif. Trois dimensions présideront très certainement à la trajectoire relative des ratings du pool souverain de WARA : la flexibilité avec laquelle les économies nationales renoueront avec leur tendance de croissance pré-crise ; leur capacité à contenir une éventuelle hémorragie budgétaire ; et l’arbitrage des autorités quant au traitement du virus par la dépense publique (c’est-à-dire par la dette) ou, a contrario, pas des mesures de contrôle sociétal hors budget. Il va sans dire que, si notre méthodologie d’analyse souveraine ne changera pas, la pondération des variables de flexibilité et de résilience conjoncturelle, de gestion budgétaire et bilancielle et de gouvernance devrait être augmentée, temporairement, par rapport aux variables structurelles, institutionnelles, monétaires et de climat des affaires. A ce titre, nous pourrions assister à une plus grande polarisation des ratings du pool souverain à court et moyen termes, à mesure que les différentes stratégies de réponse au virus font valoir leurs effets relatifs

 

Qu’est-ce que vous pensez du déficit des Etats émetteurs qui semble continuer de se creuser ? 

On va avoir un creusement de double déficit : déficit budgétaire d’un côté et déficit du compte courant de l’autre. Le déficit budgétaire, modulo des critères de convergence de l’UEMOA et de la CEDEAO, doit être financé. On n’a pas d’autres choix que de s’endetter pour le financer. Et cela est perçu comme négatif. Le plus contraignant est le financement du déficit du compte courant ; il n’a pas le même statut que le déficit budgétaire. Le déficit du compte courant suppose un financement en devises étrangères. Et là, je vous renvoie à l’initiative ivoirienne avec la récente émission d’un eurobond. Il en va de même pour le Bénin, qui a profité du reprofilage de sa dette publique pour augmenter la part du financement extérieur dans les financements globaux. C’est là où le bât blesse. Les politiques économiques structurelles post-COVID-19 devraient focaliser leur attention pour accumuler des réserves de changes et d’être de moins en moins tributaire du financement du compte courant par les devises en provenance de l’international. Il faut deux choses pour accumuler de la devise : être plus compétitif à l’international et attractif pour l’international. Pour être compétitif, il faut que nous vendions des produits de meilleure qualité ou que nous les vendions moins chers. Cela s’appelle une différenciation par les prix ou une différenciation par la qualité. Dans ce cas, il faut industrialiser nos processus. Je reviens sur le déficit budgétaire. La question ne réside pas dans le stock de la dette. Comparés aux autres Etats d’Asie, d’Europe, nous sommes les pays les moins endettés de la planète. La France est à 110% de dette sur PIB, l’Allemagne 105%, les USA ont dépassé les 95% du PIB. En moyenne, en Afrique de l’Ouest, nous sommes à moins de 50%. Ce n’est pas la quantité de dette qui pose problème. Nous avons beaucoup de marges de manœuvre en matière d’endettement public. C’est davantage la soutenabilité de notre service de la dette publique par rapport à nos trajectoires de croissance à long terme qu’il faut interroger ou, en d’autres termes, nos stratégies d’usage de la dette publique en vue d’une saine croissance future.

 

Faut-il avoir des craintes sur la soutenabilité de la dette souveraine des Etat dans ce contexte de la COVID-19 ?

La dette publique en quantité n’est pas un souci. Mais il n’en demeure pas moins qu’il y a quelques problèmes en matière de dette publique. Le premier, c’est sa gestion. Il faut que la gestion de la dette publique soit beaucoup plus transparente et surtout qu’elle soit gérée dans la perspective d’investissements productifs et non pas simplement pour compenser des déficits conjoncturels. La dette publique en Afrique n’a de valeur qu’à partir du moment où elle est orientée vers l’investissement. Si les emprunts ne viennent que pour financer les déficits budgétaires creusés par des dépenses courantes, alors cette dette n’a pas plus de valeur économique : elle constitue une contrainte. En revanche, lorsqu’elle est orientée pour accompagner les programmes nationaux de développement économiques structurels, il n’y a aucun souci. Par contre, si l’argent emprunté est destiné à compenser le déficit opérationnel et courant, il se consume dans la dépense publique. Donc, c’est la gestion structurelle de la dette qui pose problème. L’autre souci, c’est le service de la dette. Certains pays de la sous-région ont négligé la gestion dynamique, et ont fini par faire face à ce qu’on appelle le « mur de la dette », c’est-à-dire des échéances annuelles trop importantes pour ce que le budget annuel peut supporter… nécessitant un reprofilage voire une restructuration de la dette publique.

 

Les récents appels à l’annulation de la dette des Etats africains ne portent-ils pas préjudice à la qualité de la signature des émetteurs sur les marchés ? 

Ces appels à l’annulation de la dette des Etats africains ne changent rien à notre opinion sur la signature des Etats. Nous avons suffisamment de réserves pour payer le service de la dette en devises. Politiquement, c’est une bonne occasion d’interagir avec les bailleurs de fonds en devises pour leur suggérer un exercice de solidarité en situation de choc symétrique. Le Club de Londres et le Club de Paris financent nos pays avec leur propre monnaie. Nous sommes obligés d’utiliser la monnaie de quelqu’un d’autre. Il est absolument normal d’interagir avec ceux-là mêmes qui prêtent en leur propre monnaie. Toutefois, ce n’est pas toujours une bonne chose de faire ces appels. C’est une manière de signaler aux marchés internationaux que nous avons des fragilités. Nous attirons l’attention sur deux choses : le fait que notre compétitivité ne soit pas encore suffisamment robuste pour prendre à bras le corps les enjeux de la mondialisation, et que notre attractivité ne soit pas encore suffisante eu égard à nos habitudes de gouvernance. Nous sommes perçus comme ayant des habitudes de gouvernance publique inférieures à celles de nos pairs dans le reste du monde. 

 

A votre avis, quelle est l’utilité pour nos Etats émetteurs de se faire noter en monnaie locale ?

En créant WARA en 2012, nous avions des raisons de croire qu’il existe dans nos pays une abondante épargne sous-régionale en devise locale, une épargne institutionnelle et individuelle qui mériterait de trouver en contrepartie de cet effort de collecte de l’épargne des classes d’actifs susceptibles de générer des rendements. Notre habitude sociale et historique est que l’épargne est dirigée vers la propriété foncière. Cela ne suffit pas parce que dans une logique patrimoniale, le foncier et l’immobilier ne sont que deux classes d’actifs parmi tant d’autres. Les classes d’actifs qui sont utiles pour notre économie, en plus de l’immobilier et du foncier, sont doubles : la classe d’actifs obligataires et la classe d’actifs actions. L’accès au marché financier n’est pas un camouflet lancé aux banques c’est plutôt un complément pour elles. Et ainsi, la notation financière accompagne ce phénomène de désintermédiation financière des marchés de capitaux. On parle alors de financiarisation de l’économie à mesure qu’elle se modernise, ce qui suppose davantage de transparence dans l’information financière, ce à quoi nous participons.

 

La plupart du temps, on note que les BAT et les OAT des Etats sont sursouscrits.  Qu’est ce qui explique cet engouement des investisseurs vers les titres émis par les Etats sur le MTP ? 

Lorsque les Bons et les Obligations Assimilables du Trésor des Etats sont sursouscrits, c’est parce qu’il y a suffisamment d’épargne disponible. La question que l’on doit se poser est comment faire pour que la demande de financement et l’offre de financement se retrouvent sur un même marché. Je pense qu’il faut de l’information de bonne qualité. Les agences de notation, comme WARA, contribuent à améliorer cette information et à fluidifier les échanges sur le marché financier.

 

Aujourd’hui, comment se porte le Marché des Titres Publics de l’UEMOA ?

Les Etats n’ont pas de problème à accéder à ce marché ; les investisseurs institutionnels que nous rencontrons souvent grâce à UMOA-Titres répondent favorablement aux demandes de financement des émetteurs (Etats). Toutefois, cette réponse positive aux titres publics est assortie d’un certain nombre de requêtes. En général, les investisseurs demandent à ce qu’il y ait plus de transparence. Ils veulent également que les émetteurs soient notés par les agences de notation financière locales. Et que les documents issus de ces évaluations soient publiés et mis à leur disposition. Ils demandent aussi une gestion dynamique, transparente, efficace de la dette publique. Ils souhaitent aussi avoir une chronologie des émissions pour avoir une prévisibilité à long terme des ressources qui sont demandées par les Etats. Ils sollicitent enfin des horizons de maturité différents des titres (court terme, moyen terme, long terme et très long terme) pilotés de manière coordonnée au niveau de l’UEMOA.

 

Quelles sont les perspectives du MTP pour 2021 ?

En 2021, les déficits vont se stabiliser ; à partir de 2022, on devrait connaître, selon toute vraisemblance, une reprise. La crise est un choc conjoncturel court à l’horizon de la vie d’un Etat. Pour WARA, le long terme, c’est 3 ans. Nos économies sont capables d’absorber ces chocs symétriques de court à moyen termes. C’est le bon moment pour améliorer notre gouvernance dans une perspective de meilleure compétitivité et de meilleure attractivité.

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