Date de publication : vendredi, Mai 28

Entretien avec M. Magaye GAYE, économiste international

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Retrouvez dans le 4ème numéro de LA TENDANCE, un entretien avec M. Magaye GAYE, économiste international, qui donne son avis d’expert sur les différentes mesures prises par les Autorités monétaires pour accompagner les Etats de l’UEMOA dans la relance économique. Il apporte un regard critique sur les défis à relever pour assurer une reprise des activités dans l’espace de l’Union.

Comment analysez-vous les différentes mesures (notamment les bons social COVID-19) qui ont été prises par la BCEAO et UMOA-Titres pour assister les Etats de l’UEMOA dans le contexte de la pandémie de la COVID-19?
La pandémie de la COVID-19 a engendré, comme vous le savez, depuis son avènement, une situation difficile pour les Etats du monde entier. Ces derniers, confrontés à une double crise aiguë, notamment sanitaire et économique, cherchent, par tous les moyens, à relancer la machine économique. Le plan de relance américain de 1900 milliards de dollars et la récente décision de la Banque Centrale Européenne consistant à renforcer le dispositif de soutien à l’économie de la zone euro en portant notamment l’enveloppe à 1 850 milliards d’euros en sont des exemples illustrateurs.
En ce qui concerne l’UEMOA, en complément aux efforts consentis par les Etats membres, la BCEAO a pris très tôt une mesure allant dans le sens de la diminution de ses taux directeurs. Il convient de rappeler que le taux d’intérêt minimum de soumission aux opérations d’appels d’offres d’injection de liquidité est passé de 2,50% à 2,00% et le taux d’intérêt du guichet de prêt marginal a été ramené de 4,50% à 4,00%. Ce dispositif a été renforcé par la mise en place d’un nouvel instrument dénommé « Bons Social COVID-19 » par UMOA-titres dont l’objectif, entre autres, a été de couvrir les décalages de trésorerie des États consécutifs aux difficultés liées à la pandémie.
En mettant ces facilités à la disposition des acteurs économiques, les Autorités monétaires ont bien compris que la relance de l’activité était une préoccupation majeure. Ces instruments ont permis notamment aux États de la zone UEMOA de mobiliser les ressources financières leur permettant de faire face aux urgences liées à la lutte contre la pandémie.
Ces bons Social COVID-19 présentent l’avantage d’intéresser fortement les investisseurs au regard des niveaux importants de souscription notés en un temps relativement court et en tenant compte aussi des taux d’intérêts très favorables qui les caractérisent.

Afin d’accompagner les Etats dans la recherche de financements pour dynamiser la relance économique de la zone, la BCEAO et UMOA-Titres ont également mis sur le Marché des Titres Publics, des Obligations de Relance (OdR). Quelle lecture faites-vous de la mise en place de ces instruments?
Ce sont des instruments bien pensés et qui arrivent au bon moment. Pour l’année 2021, les États ambitionnent de relancer leur machine économique en vue de retrouver les bons niveaux de croissance observés au cours de ces dernières années. A cet effet, des plans de relance économique ambitieux ont été mis en œuvre, lesquels nécessitent des financements adaptés.
Ainsi, à travers ces Obligations de Relance, les Autorités monétaires envisagent d’apporter un appui aux Etats membres de l’UEMOA en vue de leur permettre de financer leurs plans de relance économique. L’objectif est louable étant donné qu’à côté des ressources à court terme mobilisées au travers des Bons Social COVID-19, les économies de l’Union ressentent aussi des besoins de financement à moyen et long termes pour faire face à leur programme de développement. Ce complément de ressources est indispensable pour renforcer la croissance économique des pays de l’Union sur le long terme. Il convient de rappeler que les Obligations de Relance 2021 sont des Obligations Assimilables du Trésor sur des maturités intéressantes pouvant aller de 3 à 12 ans voir plus.

Quelles sont les opportunités liées à ce mécanisme de financement pour les Etats ?
Pour 2021, les Etats de la zone pourront émettre, au titre de cet instrument, pour un montant de 3 768 milliards de FCFA. Pandémie oblige, les Etats font face à des besoins de financement exceptionnels. Ces Obligations de Relance structurées par l’UMOA-Titres seront sans doute attractives puisqu’elles bénéficient de l’accompagnement de la BCEAO qui a mis en place un guichet spécial de refinancement des dites obligations. Les autres facteurs qui fondent mon espoir quant à la réussite de cet instrument sont la maturité longue des obligations et ses taux d’intérêts compétitifs.

En 2021, les huit Etats de la zone UEMOA comptent lever 3 768 milliards de FCFA à travers l’émission d’Obligations de Relance (Odr). A votre avis, le Marché des Titres Publics permettrait-il de mobiliser ce volume?
Cette question est intéressante et légitime en tenant compte du fait que ce qui est recherché ici, contrairement aux bons Social COVID-19, pour lesquels plus de 1 000 milliards de FCFA ont été mobilisés, ce sont des ressources remboursables sur les moyen et long termes.
Malgré les ambitions affichées, je suis optimiste. En effet, afin de permettre aux Etats d’émettre les Obligations de Relance à des conditions favorables, la BCEAO a mis en place un guichet spécial de refinancement dénommé « Guichet de relance » qui leur est spécifiquement destiné. Toutes les Obligations de Relance émises par les États en 2021 sur le Marché des Titres Publics sont éligibles à ce guichet. Les banques pourront donc avec cette facilité, mobiliser sur ce guichet spécial des ressources pour une durée de six (6) mois renouvelable au taux minimum de soumission aux adjudications de la BCEAO, qui est actuellement de 2%.
Il ne faut pas aussi perdre de vue que le gisement de liquidité semble assez satisfaisant dans l’Union. Il y a lieu à cet effet de rappeler que le marché financier de l’UMOA a réussi depuis sa création à mobiliser 12 234 milliards de FCFA soit une moyenne annuelle au cours des trois dernières années de 1500 milliards de FCFA représentant seulement 10% des crédits à moyen et long terme du secteur bancaire.

Une fois que ces montants seront mobilisés par les Etats, quels devraient être, selon vous, les secteurs prioritaires à financer pour assurer la relance économique au sein de l’UEMOA?
Ces secteurs ne peuvent être déterminés qu’en fonction des priorités de chaque Etat membre. Toutefois, la situation de pandémie a montré quelques vulnérabilités notamment dans des domaines comme l’agriculture, l’agro business, la santé et la sécurisation de l’importation des biens stratégiques pour les pays membres. Je demeure persuadé que les Etats utiliseront ces moyens complémentaires pour renforcer leur sécurité alimentaire et sanitaire sans oublier l’érection d’infrastructures de soutien à l’économie comme l’énergie, les routes et pistes rurales et le numérique. Sans oublier des secteurs durement impactés comme le tourisme et le transport mais aussi la relance des entreprises stratégiques et les PME à fort potentiel, qui sont en difficultés.

Quels sont les défis qu’il faudrait relever pour un succès des plans de relance économique?
L’un des premiers défis à relever pour un succès des plans de relance me semble être le choix des projets à financer dont l’impact sur la croissance, la réduction de la pauvreté et le chômage gagnerait à être significatif. Bien entendu la gouvernance opérationnelle desdits projets devrait être au cœur des enjeux car ce qui est recherché, c’est de bâtir des économies fortes, largement souveraines au plan alimentaire et sanitaire et faiblement dépendantes de la contrainte extérieure. La question des financements complémentaires à mobiliser auprès d’une communauté internationale durement impactée par la crise de la COVID-19 est également à prendre en compte.

Quels sont les risques qui pourraient plomber la relance économique?
Concernant les risques, il convient de souligner que les partenaires traditionnels des pays de l’UEMOA comme la Chine et l’Europe (66% des exportations et 77,1% des importations en 2018 selon la BCEAO) font face à des ralentissements sévères en termes de croissance économique et ne pourraient sans doute pas maintenir les mêmes niveaux de performance en termes d’échanges.
Ensuite, les préoccupations budgétaires liées à des moins values réelles de recettes fiscales et les mesures nouvelles de réorientation des crédits vers des secteurs sociaux, consécutives à la gestion de la pandémie, créent à coup sûr des effets d’éviction sur les projets en cours d’exécution dans des secteurs comme les infrastructures. Sans oublier les risques potentiels sur le développement du secteur privé vu les retards potentiels d’apurement par les Etats , de dettes intérieures.
La relance pourrait aussi être mise en difficulté en tenant compte des pertes de pouvoirs d’achat liées à la recrudescence du chômage, aux mesures de confinement qui ont freiné le rythme de travail notamment dans un gros secteur pourvoyeur d’emplois comme le secteur informel (environ 38% du PIB de l’Afrique Subsaharienne selon le FMI) et la fermeture d’entreprises du secteur privé. Autant de facteurs qui vont forcément avoir des incidences sur la consommation des ménages.
Enfin, du côté de l’investissement, le sentiment d’avenir incertain induit par la pandémie pourrait justifier des attitudes évidentes de précaution chez les investisseurs domestiques et étrangers.

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